lundi 16 avril 2007

Théorie et pratique du collectivisme oligarchique*

e titre est celui du livre imaginé par Gorges Orwell dans « 1984 ». Il est censé être l’œuvre de l’hypothétique opposant « Emmanuel Goldstein », plus grand ennemi de Big Brother et du Parti. Winston Smith, le personnage principal, qui, pourtant travaille au Ministère de la Vérité, l'un des puissants organes de la propagande du Big Brother, Souhaite s'engager dans la résistance afin de combattre le régime totalitaire imposé par le Parti et son chef.

Winston décide, après avoir loué chez un vieil antiquaire une chambre vierge, pense-il, de tout écran qui tapisse généralement les murs à l'intérieur des maisons, d'entreprendre la lecture de ce fameux « livre » dont on ne découvrira que deux chapitres « L’Ignorance c’est la Force » et « La Guerre c’est la Paix », deux des trois slogans du parti (le troisième c’est : « La Liberté c’est L’Esclavage »). On apprend par la suite que ce manifeste, qui dénonce l'autoritarisme du régime de Big Brother, a été écrit vraisemblablement par O'Brien lui-même, membre éminent du Parti intérieur ! A travers ce livre inventé, Georges Orwell livre une analyse fine des idéologies totalitaires modernes.

Une prophétie effrayante mais lucide sur le devenir de l’humanité.


Chapitre I
L'ignorance c'est la force

Au long des temps historiques et probablement depuis la fin de l’âge néolithique, le monde à été divisé en trois classes. La classe supérieure, la classe moyenne, la classe inférieure. Elles ont été subdivisées de beaucoup de façons, elles ont porté d’innombrables noms différents, la proportion du nombre d’individus que comportait chacune, aussi bien que leur attitude vis-à-vis les unes des autres ont varié d’âge en âge. Mais la structure essentielle de la société n’a jamais varié. Même après d’énormes poussées et des changements apparemment irrévocables, la même structure s’est toujours rétablie, exactement comme un gyroscope reprend toujours son équilibre, aussi loin qu’on le pousse d’un côté ou de l’autre.

Les buts de ces trois groupes sont absolument inconciliables. Le but du groupe supérieur est de rester en place. Celui du groupe moyen, de changer de la place avec le groupe supérieur. Le but du groupe inférieur, quand il en a un – car c’est une caractéristique permanente des inférieurs qu’ils sont trop écrasés de travail pour être conscients, d’une façon autre qu’intermittente, d’autre chose que de leur vie de chaque jour – est d’abolir toute distinction et de créer une société dans la quelle tous les hommes seraient égaux.

Ainsi à travers l’Histoire, une lutte qui est la même dans ses lignes principales se répète sans arrêt. Pendant de longues périodes, la classe supérieure semble être solidement au pouvoir. Mais tôt ou tard il arrive toujours un moment où elle perd, ou sa foi en elle-même, ou son aptitude à gouverner efficacement ou les deux. Elle est alors renversée par une classe moyenne qui enrôle à ces côtés la classe inférieure en lui faisant croire qu’elle lutte pour la liberté et la justice. Sitôt qu’elle à atteint son objectif, la classe moyenne rejette la classe inférieure dans son ancienne servitude et devient elle-même supérieure. Un nouveau groupe moyen se détache alors de l’un des autres groupes, ou des deux, et la lutte recommence.

Des trois groupes, seul le groupe inférieur ne réussit jamais, même temporairement, à atteindre son but. Ce serait une exagération que de dire qu’à travers l’histoire il n’y à eu aucun progrès matériel. Même aujourd’hui, dans une période de déclin, l’être humain moyen jouit de conditions de vies meilleurs que celles d’il y a quelques siècles. Mais aucune augmentation de richesse, aucun adoucissement des mœurs, aucune réforme ou révolution n’a jamais rapproché d’un millimètre l’égalité humaine. Du point de vue de la classe inférieure, aucun changement historique n’a jamais signifié beaucoup plus qu’un changement du nom des maîtres.

Vers la fin du XIXe siècle, de nombreux observateurs se rendirent compte de la répétition constante de ce modèle de société. Des écoles de penseurs apparurent alors qui interprétèrent l’histoire comme un processus cyclique et prétendirent démontrer que l’inégalité était une loi inaltérable de la vie humaine. Cette doctrine, naturellement avait toujours eu des adhérents, mais il y avait un changement significatif dans la façon dont elle était mise en avant. Dans le passé, la nécessité d’une forme hiérarchisée de société avait été la doctrine spécifique de la classe supérieure. Elle avait été prêchée par les rois et les aristocrates, par les prêtres, hommes de loi et autres qui étaient les parasites des premiers et elle avait été adoucie par des promesses de compensation dans un monde imaginaire, par-delà la tombe.

La classe moyenne, tant qu’elle luttait pour le pouvoir avait toujours employé des termes tels que liberté, justice et fraternité. Cependant, le concept de la fraternité humaine commença à être attaqué par des gens qui n’occupaient pas des postes de commande, mais espéraient y être avant longtemps. Anciennement, la classe moyenne avait fait des révolutions sous la bannière de l’égalité, puis avait établi une nouvelle tyrannie dès que l’ancienne avait été renversée. Les nouveaux groupes moyens proclamèrent à l’avance leur tyrannie. […]

Les nouvelles doctrines naquirent en partie grâce à l’accumulation de connaissances historiques et au développement du sens historique qui existait à peine avant le XIXe. Le mouvement cyclique de l’histoire était alors intelligible, ou paraissait l’être, et s’il était intelligible, il pouvait être changé. Mais la cause principale et sous-jacente de ces doctrines était que, dès le début du XXe siècle, l’égalité humaine était devenue techniquement possible. Il était encore vrai que les hommes n’étaient pas égaux par leurs dispositions naturelles et que les fonctions devaient être spécialisées en des directions qui favorisaient les uns au détriment des autres. Mais il n’y avait plus aucun besoin réel de distinction de classes ou de différences importantes de richesses.

Dans les périodes antérieures, les distinctions de classes avaient été non seulement inévitables, mais désirables. L’inégalité était le prix de la civilisation. Le cas, cependant, n’était plus le même avec le développement de la production par la machine. Même s’il était encore nécessaire que les êtres humains s’adonnent à des travaux différents, il n’était plus utile qu’ils vivent à des niveaux sociaux et économiques différents. C’est pourquoi, du point de vue des nouveaux groupes qui étaient sur le point de s’emparer du pouvoir, l’égalité humaine n’était plus un idéal à poursuivre, mais un danger à éviter.[...]


Georges Orwell - 1984 - Collection Folio 2002 - 439 pages


4 commentaires:

  1. Ce bouquin est extraordinaire!

    Il faudrait le lire en complément de la "Ferme des Animaux".

    On y retrouve les même thèmes en filigrane...

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  2. Anonyme11:31 AM

    Il existe bien un traité du pouvoir polirique titré "Théorie et pratique du collectivisme oligarchique", publié en russe dans sa première édition, en 1944, par un certain H. B. E. Goldstein. On y trouve, en effet, une grande partie de ce qui a inspiré l'écriture de "1984". HBE Goldstein dédicace son oeuvre a à un autre auteur inconnu, Edouard Boulard, autaur quant à lui d'un essai titré "Théorie et pratique du collectivisme intégral-révolutionnaire" publié vers 1895. L'intérêt du livre de Goldstein, que je suis encore en train de lire et de découvrir pour la première fois, est qu'il ne s'agit pas d'une fiction, mais bien d'un traité réel qui délivre, en même temps, tout ce qu'Orwell n'explique pas dans "1984", et les noms et extraits des penseurs et chercheurs qui sont à l'origine de l'univers orwellien. C'est tout à fait surprenant, puisqu'il ne s'agit plus de fiction, mais bien de la réalité. On y décrit, par exemple, comment la surveillance de tous les individus de la société peut être organisée.

    Pour ceux que ça intéresse, ce livre est téléchargeable gratuittement en pdf sur le site archive.org.

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  3. Anonyme11:33 AM

    Il existe bien un traité du pouvoir polirique titré "Théorie et pratique du collectivisme oligarchique", publié en russe dans sa première édition, en 1944, par un certain H. B. E. Goldstein. On y trouve, en effet, une grande partie de ce qui a inspiré l'écriture de "1984". HBE Goldstein dédicace son oeuvre a à un autre auteur inconnu, Edouard Boulard, autaur quant à lui d'un essai titré "Théorie et pratique du collectivisme intégral-révolutionnaire" publié vers 1895. L'intérêt du livre de Goldstein, que je suis encore en train de lire et de découvrir pour la première fois, est qu'il ne s'agit pas d'une fiction, mais bien d'un traité réel qui délivre, en même temps, tout ce qu'Orwell n'explique pas dans "1984", et les noms et extraits des penseurs et chercheurs qui sont à l'origine de l'univers orwellien. C'est tout à fait surprenant, puisqu'il ne s'agit plus de fiction, mais bien de la réalité. On y décrit, par exemple, comment la surveillance de tous les individus de la société peut être organisée.

    Pour ceux que ça intéresse, ce livre est téléchargeable gratuittement en pdf sur le site archive.org.

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  4. Anonyme12:36 PM

    Apparemment, théorie et pratique du collectivisme oligarchique existe vraiment. Il s'agit d'un essai politique qui aurait été publié tout d'abord en russe en 1944, puis traduit et édité en français en 1948. L'auteur se nomme J.B.E. Goldstein, et il aurait inspiré Orwell pour écrire 1984. Je l'ai lu (et même relu), et ce qu'on y trouve est surprenant.

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