La célébration, le 3 mai, de la Journée mondiale de la liberté de la presse, et les semaines qui l’ont suivi, ont été encore une fois l’occasion pour notre paysage médiatique de montrer avec éloquence l’étendu du mal qui le ronge depuis des décennies.
Un mal dont « le pouvoir politique » est certes le premier responsable mais certainement pas le seul. Certains journalistes et « professionnels de l’information » se révèlent être encore plus néfastes pour ce « 4e pouvoir » qui n’a jamais réussi à en être un dans notre pays.
C’est le Président de la République qui a, comme toujours, ouvert le bal avec un message qui ne manque pas d’humour. Relayé par toute la dite « presse », notre président se « plait, […] d’adresser [ses] plus chaleureuses félicitations et [ses] meilleurs vœux aux membres des bureaux du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et de l'Association des directeurs de journaux (ATDJ) et à tous les membres de la famille de la presse ». Faisant part de sa « considération pour les efforts louables qu'ils déploient en vue de consacrer une information authentique et crédible »
Comme chacun le sait, l’amour de la liberté de la presse est un credo chevillé au corps de notre président et qu’il a, comme il le dit lui-même, « toujours considéré la liberté d’expression comme un droit fondamental des droits de l’Homme, et accordé au secteur de l’information et de la communication l’attention, le soutien et les encouragements qu’il mérite ».
Mais voilà, piqué par je ne sais quelle mouche et malgré les « chaleureuses félicitations » du président, les membres du bureau exécutif du SNJT, sous la houlette de leur président, Neji Bghouri, ont fait le choix, dans leur « rapport annuel sur la liberté de la presse en Tunisie », de constater l’état d’avancement des « réalisations » dans le secteur au lieu de se contenter de les...énumérer.
On y apprend alors que malgré « l’attention, le soutien et les encouragements », la situation ne se prête gère aux fanfaronnades présidentielles. Une démarche qui se voulait pourtant constructive :
« Notre passage en revue du paysage médiatique ne prétend pas à l’exhaustivité, mais nous souhaitons qu’il donne une idée proche et objective de la réalité. Aussi, l’insistance de ce rapport, comme son précédent, sur les inconvénients, les imperfections et les lacunes que nous avons dernièrement enregistrés dans le secteur, est mue par notre désir de les éviter et de les dépasser pour élever notre information et la développer. »
Il faut dire qu’il y avait de quoi s’alarmer. Pas un seul classement mondial traitant des libertés fondamentales qui ne classe notre pays parmi les derniers. Le classement 2009 de l’organisation Freedom House, publié à l’occasion de cette journée mondiale de la liberté de la presse ne fait pas exception. La Tunisie y est classée 176e au niveau mondial et 14e au niveau de la région Afrique du Nord Moyen-Orient.
Bien qu'il soit incomplet et soufrant de plusieurs lacunes tant sur sa forme que sur son fond, ce rapport du SNJT a surtout le mérite d’exister. Il se permet même quelques insolences sur des sujets qui fâchent comme par exemple celui de la publication dont le cadre légal actuel « entrave » l’activité ou dans un autre registre le traitement de certaines informations par les médias nationaux :
« Les médias nationaux et plus particulièrement les étatiques d’entre eux continuent d’ignorer les activités de plusieurs organisations de la société civile et des partis politiques en optant pour un traitement sélectif de l’information nationale et régionale basé sur des considérations politiques.»
« Le traitement sélectif, orienté et trompeur de la plus part des journaux des événements du bassin minier, mouvement protestataire et social et les procès qui l’ont suivi, ajouté à d’autres événements comme les grèves, les actions et le sit-in des agents de la radio télévision tunisienne, à laisser le champ libre aux médias étrangers pour présenter ces événements selon leurs orientations. ».
Là encore, on voit bien que la démarche n’a rien de mal intentionnée. Peu importe. C'est déjà trop pour les présidents du comité de la déontologie et du comité des libertés du même syndicat qui ont immédiatement attaqué le rapport. Pas assez « objectif » à leur goût.
Le président de la commission de la déontologie, le dénommé Kamel ben Younes, en arrive même aux mains pour corriger l’« affabulateur » président du syndicat. Voilà, pour ce garant de la déontologie une bonne manière de montrer « ses aptitudes déontologiques ».
Heureusement que l'Association tunisienne des directeurs de journaux était là pour laver l’affront en publiant, à son tour, son 1er rapport annuel qui, selon son président Hédi Mechri (ça ne s’invente pas !), « apporte une analyse des principaux développements dans le secteur de la presse ».
L’«analyse » promise par M. Mechri s’est, en fin de compte, révélée être un passage en revue de l’ensemble des incitations, des mesures et des encouragements décidés par le chef de l’Etat au profit de la profession ainsi que la mise en exergue du soutien inconditionnel du « président Zine El Abidine Ben Ali aux entreprises de presse et aux journalistes, ainsi qu’à la promotion de la liberté d’opinion et d’expression dans le cadre des principes démocratiques et des valeurs de probité et de crédibilité. ». C’est écrit, comme il le rappelle, dans « le point 21 du programme présidentiel pour la Tunisie de demain 2004/2009 ».
Or, il se trouve que 2009 touche à sa fin et les quatre points en question, à savoir « le soutien à la presse des partis et d’opinion », « l’élargissement des espaces de dialogue », « l’impulsion de l’initiative privée, dans le secteur de la presse » et « l’amélioration des conditions de travail des journalistes », sont les sujets qui préoccupent le plus le syndicat des journalistes qui estime pour sa part que très peu à été fait pour permettre d’atteindre ces « objectifs présidentiels ». L’ingratitude de nos journalistes est vraiment un vilain défaut !
Heureusement que ce n’est pas le cas de tous les journalistes. Le 9 mai, Jamel Kermaoui, le président de « la commission des libertés », celle qui trouvait le rapport du bureau central manquant d’objectivité a, à son tour, pendu son propre rapport sur la question. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il balaie d’un revers de main les griefs de ses camarades.
Le « sage » de cette commission pense qu’il est « inconcevable d’occulter les avancées ayant été accomplies dans le domaine de l’information en Tunisie » affirmant que la promotion de l’information « est une préoccupation partagée entre les journalistes et le pouvoir » sans oublier de passer en revue les initiatives du Chef de l’Etat visant à promouvoir les conditions des professionnels du secteur ! Qu’est ce qu’il ne faut pas faire pour bien se faire voir par « le pouvoir » !
Dernier acte de cette mascarade dont le SNJT est victime et acteur malgré lui, le 11 mai, le bureau exécutif décide de mettre un peu d’ordre dans ce qui s’apparente à une mutinerie fomenté par le palais de Carthage et ses infiltrés au sein du syndicat.
C’est ainsi qu’on apprend, qu’après que sa démission ait été refusée, le président bagarreur de la commission de la déontologie a été déchu de sa qualité de membre du syndicat pour « violation de l'éthique professionnelle » en application de l'article 11 du règlement intérieur.
Le plus consternant, c’est que la presse tunisienne dans son ensemble, pourtant défendue par le rapport de la SNJT, a tout fait pour que celui-ci passe inaperçu ! Les quelques médias qui en ont parlé, l’ont d’emblée présenté comme sujet à controverses rappelant son prétendu manque d’« objectivité ».
Les autres, c'est-à-dire l’écrasante majorité, ont préféré commenter dans les détails les plus insignifiants le pseudo rapport du l’ATDJ ou encore, par un procédé malhonnête, le rapport de la commission des libertés le faisant passer pour le vrai rapport du syndicat. TunisiaIT.com, un nouvel arrivant sur le marché du journalisme alimentaire titrait même : « Le SNJT fait son rapport sur la liberté de la presse en Tunisie ». !
Depuis, une kabbale médiatique est savamment menée par les médias tunisiens pour remettre en cause la légitimité du bureau exécutif du syndicat à coup de déclarations « spontanées » de « journalistes » allègrement reprises par toutes les rédactions. Une pétition circule même appelant à dissoudre le bureau exécutif.
A ce sujet L’observatoire tunisien des droits et libertés syndicales nous rapporte que la maison de presse Al-Anwar, qui passerait prochainement sous le contrôle de Belhassen Trabelsi, fait pression sur certains de ses journalistes syndiqués pour signer cette pétition. Des pressions reportées également au sein d’autres rédactions.
Heureusement, où plutôt malheureusement, c’est encore à une ONG internationale de monter au créneau pour défendre l’indépendance du SNJT. Dans un communiqué publié le 11 mai la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) dénonce cette campagne organisée par les autorités contre le bureau exécutif du SNJT, qui est selon eux une « autre preuve de l'absence de toute tolérance politique et de l'inimitié envers les défenseurs de la liberté d'expression et des droits de l'Homme. », en apportant son soutient à la position du SNJT et son « droit à publier des rapports indépendants ».
Le même jour, le groupe d'observation de la Tunisie de l’International Freedom of Expression Exchange, (IFEX-TMG), a envoyé un message au Président Ben Ali, pour faire part de sa « sérieuse préoccupation concernant les mesures prises par [son] gouvernement pour miner l'indépendance du SNJT et interférer dans ses affaires internes ».
Ainsi va la vie d’un syndicat de journalistes qui tente de rester indépendant en Tunisie. Une vie faite de pressions, de coups bas et de beaucoup de mauvaise foi. Encore une fois ce sont les journalistes eux-mêmes dans leur écrasante majorité qui se révèlent être les pires ennemis de leur métier.
Au lieu de faire bloc derrière leur syndicat, quitte à discuter plus tard et en interne de la meilleure stratégie à adopter, ils préfèrent sauter par-dessus bord, abandonnant le navire en proie à ceux qui ont montré depuis 22 ans maintenant le peu d’estime qu’ils portent au métier de journaliste. Pauvre Tunisie !
Malek Khadhraoui
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