jeudi 12 mai 2005

Malheur aux générations qui assistent aux époques du monde



« Etre d’avant-garde c’est savoir ce qui est mort ;
Etre d’arrière-garde c’est de l’aimer encore. »

Roland Barthes.


Face à la crise politique, sociale et identitaire qui affecte notre pays et le plonge dans les marécages nauséabonds de l’asservissement. Une multitude de courants politiques qui représentent autant de dogmes et d’idéologies, se sont formés au fil de cinquante années de dictature. Ils sont tantôt diamétralement opposés, tantôt parlant d’une même voix. Ces formations tentent, tant bien que mal, de mobiliser un peuple apathique et résolument résigné. Il est donc légitime de s’interroger. Pourquoi tant de désintéressement ? Pour quelles raisons tant de désinvolture ? Un élément de réponse viendrait peut être du fait que les Tunisiens n’avaient pas envie d’adhérer à un conformisme hypocrite ou acariâtre et la fuite en avant vers encore plus de déconstruction autodestructrice. Le peuple ne se sentirait pas porté par un antimodernisme primaire et un progressisme à rebours. Alors existe-t-il entre ces deux impasses, une clairière plus prometteuse de renaissance salvatrice ? Le peuple tunisien ne mériterait t-il pas une alternative plus en adéquation avec son époque et ces exigences ?

En effet depuis l’avènement du monde moderne, l’homme n’a eu de cesse d’affirmer son existence au sein de la cité. Par sa créativité et son aspiration perpétuelle au meilleur, il a favorisé l’avènement de la science et de la technique. Fort de son potentiel, l’homme a inexorablement aspiré à une égalité des droits et à un retour à une aristocratie authentique basée sur le mérite et non sur l’hérédité. Il a également manifester son désire non pas d’en finir avec le mal, comme le veulent les idéalistes, mais de le rendre plus rationnel, plus en relation avec l’action même de l’homme que des forces magiques et surnaturelles. Il ne s’agit, aucunement, de cantonner le monde au cadre de la raison pure. Il est donc question de s’extirper de la fatalité, la destinée et de la pensée unique.

Mais la volonté de certain de croître en puissance et non en développement et en affinement les poussent à ne plus justifier leur bienséance que par la doctrine révolutionnaire ou religieuse. Notre paysage politique n’échappe, malheureusement, pas à ce constat. Le dessèchement intellectuel et les actions stériles, signes ostentatoires des antimodernes, représentent les seules alternatives proposées à nos concitoyens. Cette inertie est aggravée par une méfiance généralisée envers la démocratie. Bien qu’ils proclament, ici et la, leur ouverture au débat, ils montrent dans les faits une peur primaire de la polémique et de la confrontation. Ils se proclament de la modernité, mais ne sont que des modernes à contre cœur et malgré eux qui « avancent à reculons, tournés vers le passé[i]». Ils ont choisi le « consensus mou[ii]» qui nous a mené tout droit vers la pire des dictatures.

Devant les défis qui s’érigent à l’horizon de notre action émancipatrice, les antimodernes se proclament du temps immobile et immuable. Ils assument leurs différence irréductible avec une époque à la quelle il se sentent spirituellement étranger. Dans leur vision étriquée, les temps anciens sont supposés supérieur aux temps présents. Ce qui nous vient des ancêtres à valeur de loi indiscutable. Ils cultivent un criticisme envers le progrès qu’il en devienne source de tous les maux de la société. D’autres quant à eux, vivent dans le temps réduit à l’instant éternel. Un temps en perpétuelle répétition qui en fini par se mordre la queue. Rien ne sert alors de suivre sa marche ; il revient à eux inlassablement. Le progrès ne signifie à leurs yeux que la mort de l’espace temps et l’émancipation des limites de la communauté, de la masse, de l’ensemble. Barthes[iii] qualifiait les antimodernes de « pessimistes actifs » en référence à leur désire d’un optimisme sans progressisme, une sorte d’« énergie du désespoir ». Ils accusent le progrès de pousser à la paresse, alors qu’en instaurant la destinée comme seul but et l’immobilisme comme seule alternative. Ils font de la paresse intellectuelle la garantie du salut de leurs dogmes et la pérennité de leur idéaux.

L’antimodernisme lattant qui étouffe notre société agonisante se décline de différentes manières mais garde une unité inhérente à toutes ces composantes. Le fondamentalisme religieux qui se réclame d’une stricte lecture et application des textes sacrés et des lois religieuses, en est une. Il est le chantre d’une approche sectaire et souvent violente de la société tournée non seulement contre la population étrangère ou de confessions différentes mais également envers les coreligionnaires aux idées plus larges et aux aspirations universelles, signe, à ces yeux, d’une compromission avec le monde moderne réputé impure et diabolique. Le conservatisme séculaire, quant à lui, est nostalgique de la dimension magique des cultures et traditions du passé refusant tout changement sous prétexte d’authenticité. Sa relation avec la modernité est sinueuse et ambiguë. Il cultive un certain mépris pour les « couches inférieures » de la sociétés un ostracisme alimenté par des pratiques bourgeoises héréditaires. Une schizophrénie mise en exergue par de plus en plus de contradictions entre ses anathèmes et ces pratiques pernicieuses. Le nihilisme révolutionnaire et tous les « isme » post-léninistes, ont de leurs coté basé leurs actions sur deux maîtres mots de la pensée marxiste. Ces mots sont programme et système. Bien qu’ils ont acquit une importance croissante depuis l’avènement de l’informatique avec ces programmes numériques et autres systèmes d’exploitations. Il ont fini par ce vider de leurs contenus chez ceux qui se voulaient les héritiers de Karl Marx[iv]. Ils n’ont vu dans ces termes que « programme de gouvernement » et « système politique ». En les utilisant dans des sens aussi étroits, ils ne font que montrer leur difficulté d’adaptabilité. En s’entêtant dans le déterminisme, affirmant les conséquences parce que connaissant les causes, ils ne font que confirmer leurs antimodernisme. Ils demeurent, ainsi, exagérément inséparables des périodes historiques auxquelles ils sont associés.

Devant tant d’approximation et tant de considérations mystiques et idéologiques, le modernisme se veut une réaction scientifique et cartésienne au conservatisme politique et religieux. Il repose sur des notions de souveraineté populaire et de démocratie participative. Il s’oriente, ainsi, vers une utilisation élargie du pluralisme politique et social. A l’état providence, le modernisme, oppose la décentralisation ; au pouvoir féodale l’indépendantisme et l’autodétermination. Les deux moteurs du modernisme sont donc, la science et la raison. Par ces deux facteurs il encourage à adapter au mieux les valeurs démocratiques et mette en place les instruments du développement économique et social en promouvant l’ouverture aux échanges économiques et culturels et la libération des mœurs. Mais le modernisme cartésien par son positivisme naïf a montré ces limites. Il est même l’une des causes de la crise identitaire qui secoue la société tunisienne en particulier et des sociétés modernes plus généralement. En effet le péril de se déployer sans retenue guette les adeptes du modernisme aveugle. La rationalisation à outrance les enferme dans les piéges de leurs propres limites. Ils perdent de vu que l’enjeu de toute conscientisation est d’analyser préventivement les conséquences l’or ce que la liberté d’autrui peut être mise en cause. Liberté, qui constitue pourtant un potentiel d’émancipation formidable.

C’est dans cette vérité que nous devons battre nos sentiers. C’est vers un réalisme sans positivisme scientiste que nous devons diriger notre action. Car il s’agit avant tout d’asseoir l’idéal du droit et de l’émancipation sur l’affinement de soi plutôt que sur ça seule conservation. Tel le magma est en perpétuelle intégration de la matière, notre action doit prendre en compte les impondérables de la réalité de toute chose ; non comme une fatalité mais tel une source nouvelle d’inspiration et donc d’affinement. Elle convertie ainsi toutes les possibilités théoriques en possibilités empiriques. Cette renaissance néo-moderne extirpe l’action politique et sociale des diktats des idéologies aveugles pour ne prendre en compte que les solutions pratiques et réalisables sans clivages dogmatiques. Il ne suffit pas de se conserver par la seule persévérance ou par le seul effet concentrique, sans peine de voir son développement être bloqué à terme puisque chaque interaction apporte son lot d’informations nouvelles susceptibles de rendre nécessaire non seulement des adaptations mais également des transformations. La « règle d’or » est donc l’adaptabilité pragmatique et le but recherché est l’affinement perpétuel. Cette renaissance n’est en aucun cas une occasion pour répudier le passé mais un moyen de chercher à le comprendre comme une construction humaine plutôt que comme une donnée objective. Elle est à la fois une rupture avec le moderne et sa continuation. Les changements historiques avaient poussées la raison à explorer de nouvelles formes d’ordre politique, fondées sur des principes éthiques universels et adoptant des mécanismes contrôlables, susceptibles d’amélioration et d’affinement continus. C’est ce qui nous réconforte dans notre croyance en la pertinence de donner naissance à une nouvelle plate-forme libérale capable de remplir l’espace des pensées de part en part en esquissant de nouvelles alternatives pour l’émancipation de notre société de l’antimodérnisme ambiant.





[i] Jean Paul Sartre, écrivain, philosophe, 1905-1980.
[ii] Antoine Compagnon, les antimodernes : de Maistre à Barthes, Gallimard, 2005, 464p.
[iii] Roland Barthes, philosophe, 1915-1980.
[iv] Karl Marx, philosophe, 1818-1883.

2 commentaires:

  1. hummm j'avais dans l'intention de toute lire ton texte, mais sérieusement il est tard hehe j'ai abandonné avant mille escuse.

    RépondreSupprimer
  2. j'éspere que la prochaine fois tu iras jusqu'au bout.

    à bientôt,

    RépondreSupprimer

Last updates