samedi 3 juin 2006

Volver

Dans la section «Emois » de l’exposition parisienne que la Cinémathèque française a consacré à Pedro Almodovar on pouvait lire cette citation du cinéaste : « rentrer à la Mancha, cela veut toujours dire pour moi retourner en enfance et retrouver ma mère ». Cette citation, qui semble pourtant anodine, résume à elle seule toute la charge émotionnelle contenue dans Volver et son histoire soumise au vent de la Mancha. « Une histoire complexe et simple, émouvante et atroce, qui affecte les femmes de la famille de Raimunda, ses voisines, et quelques hommes ». Des hommes qui sont rapidement et radicalement éliminés du film, laissant les spectateurs dans un univers de femmes. Des femmes belles, courageuses, mais aussi assassines pour certaines d’entre elles.

Pendant ce voyage de deux heures, on retient nos larmes, on frissonne d’émotion et on est bouleversé par la profondeur du cinéaste alors qu’il aborde un sujet aussi douloureux que la mort de la mère. « Volver » qui signifie « revenir » en espagnole, c’est aussi le besoin irrésistible de revenir sur ses origines et ses douleurs, sur les femmes qui par leurs omniprésences pendant notre enfance marquent à jamais nos rêves, nos souvenirs, nos peines et nos joies. Mais comme toujours, Almodovar, mêle les genres et livre tout sauf un mélo. Le burlesque est omniprésent dans le film, incarné par la géniale Carmen Maura, actrice fétiche du réalisateur qu’il retrouve ici après 17 ans de séparation.

Bien que parlant beaucoup de la mort, Volver est à l’image de la scène qui ouvre le film, chaleureuse et ensoleillée. Trois générations de femmes s’activent dans le cimetière d’un village de la Mancha, dépoussiérant les tombes et où le souvenir des morts et des vivants se côtoient sans se gêner. Une scène joviale mais au même temps inquiétante. Le vent qui « rend fou » agite les branches des arbres, soulève les jupes des femmes et fait planer sur le cimetière paisible une menace imperceptible qui introduit dans l’esprit du spectateur une douce angoisse incompréhensible. On comprend dors et déjà que le voyage ne va pas être paisible et que derrière cette énergie qui se dégage de ces femmes survoltées se cachent les secrets les plus inavouables.

Au milieu de ce panorama féminin, Raimunda – la radieuse Pénélope Cruz - se détache immédiatement. L’actrice, révélée par Almodovar, retrouve dans ce film une silhouette méditerranéenne. Plantureuse, le regard ourlé de noir, la beauté éclatante, l’actrice est époustouflante aussi bien par son jeu que par sa présence qui à travers les gros plans du réalisateurs envahie tout l’espace. Plus le film avance, et plus l’hommage d’Almodovar aux stars italiennes des années 50 est évident : Anna Magnani apparaît dans le film au travers d’un extrait du Bellissima de Visconti tandis que la scène –mythique – qui voit Raimunda faire la vaisselle l’impose comme la digne héritière de Sophia Loren en femme du peuple, autrefois fantasmée par Ettore Scola. La brève mais intense séquence de chant fort habilement photographiée, fait éclater la personnalité phénoménale de l’actrice qui irradie de son puissant regard et par son allure.

Si Almodovar renoue avec un certain réalisme, il n’oublie pas pour autant ses couleurs fétiches. Le rouge et l’or crèvent l’écran et nous couvrent par leurs chaleurs mystiques. Les incroyables idées graphiques démontrent, s’il fallait encore le faire, le génie cinématographique du réalisateur espagnol. Un Sopalin qui s’imbibe de sang tel une toile maculée par un pinceau invisible, une plongée dans le décolleté débordant de Pénélope, un champ d’éoliennes qui se dressent au milieu de nul parts comme pour personnifier la présence du vent, les fleurs qui s’épanouissent dans le générique de fin, tout dans ce film est poésie !

Qu’un cinéaste puisse réussir une telle alchimie entre profondeur et légèreté, entre la vie et la mort, qu’il puisse toucher au cœur même du mystère féminin et maternel, ne cessera jamais de me surprendre. Vous pouvez ne pas croire aux fantômes et aux apparitions ; mais vous ne pouvez nier les miracles du talent et de la sensibilité de Pedro Almodovar.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Last updates