vendredi 13 janvier 2006

Avancerions nous mieux, si nous avancions, pour ainsi dire, masqués ?



« La sincérité est une ouverture de coeur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres ».
La Rochefoucauld



Il y a des notions, qui par leurs caractères universels et indéniables, posent problème au sein de certains milieux de pensée sclérosés par le dogme du déterminisme. La plus fondamentale de ces notions : la notion de liberté, représente un mur, hélas, encore infranchissable pour des esprits en manque d’indépendance. Bien sur, affronter frontalement une si noble valeur est impossible. C’est même un exercice qui ne peut que révéler à la lumière du jour la peur viscérale qu’éprouvent certains de se retrouver confronter à une si lourde tache, celle d’être les maîtres de leurs destinées. Ne pouvant pas contester la pertinence d’un système basé sur la liberté d’être, la liberté de croire et de pratiquer selon une approche individuelle et indépendante, on s’attaque, comme c’est généralement le cas, à l’intégrité intellectuelle de ceux qui se réclament de ce droit fondamental. Les réactions de certains, suscitées par l’entretien de M.Talbi[i] et le texte de M.Dridi[ii], sont l’illustration parfaite de cette intransigeance primitive et de l’espace de plus en plus restreint, dans le quel certains esprits réactionnaires, tentent de cantonner, ceux qui par leurs approches réformistes, tentent de penser loin des dogmes du passé.

Dans l’affirmation de M.Talbi de « pouvoir vivre son éthique musulmane dans n’importe quelle société, même les plus permissives d’entre elles », il n’y guère un appel au désintéressement des affaires de la cité, ni une incitation à vivre « en vase clos et en ghetto ». Affirmer cela ne peut être qu’une tentative pathétique de déformation, bien que je puisse comprendre son utilité, pour le raisonnement de ceux qui la pratique, elle ne constitue pas, à mon avis, une méthode intellectuellement honnête. Ce qui semble clairement émaner de cette affirmation c’est la place prépondérante qui doit être donnée aux choix individuels et son rejet de toute forme de prosélytisme, et la on voit bien la confusion dans les esprit de certains quant au rôle du citoyen dans la cité. Dans une cité, l’individu est en premier lieu citoyen avant d’être musulman, chrétien, juif, hâté, agnostique où que s’ai-je encore. Cela est d’ailleurs valable sans considération de la tradition ou la culture de la société en question. En tant que citoyen musulman, il peut s’impliquer dans les affaires de la cité pour apporter sa pierre à l’édifice de la citoyenneté, mais son rôle ne peut être celui de faire en sorte que les autres citoyens deviennent musulmans à leur tour. L’aide qu’il pourra porter aux autres ne peut être assujettie à l’appartenance religieuse de celui envers qui il le fait. Par définition l’engagement citoyen est basé sur l’altruisme et la responsabilité, du moment ou il se transforme en un calcul, il perd son caractère citoyen pour se transformer en un prosélytisme primaire. C’est donc la citoyenneté qui oblige l’individu à l’implication dans les affaires de la cité et non pas sa religiosité par l’intermédiaire de la citoyenneté qui lui confère ce droit ou cette obligation. Le plus surprenant dans la critique faite à cette affirmation de M.Talbi, c’est qu’elle prétend prévenir du communautarisme et de la ghettoïsation, alors que baser l’implication citoyenne sur la religiosité est le principe même du communautarisme religieux.

Un autre point fondamental semble poser problème, celui de la « conciliation de l’islam avec la démocratie ». Sur ce point je suis d’accord avec les détracteurs de M.Talbi. Cette question est bien dépassée, mais nullement parce qu’on a définitivement résolu le problème des « réformes du corpus des textes juridiques », cette question reste encore une épine dans le pieds de toutes les sociétés de culture musulmane et je ris presque en lisant que la charia ne sert plus que les « archaïques qui font le malheur de l’islam ». L’esprit brillant qui a accoucher de cette affirmation prend peut être ces rêves pour des réalités. Ou a t-il oublié que ces même régimes « usurpateurs » ont été et restent encore les meilleurs soutiens pour toutes les mouvances islamistes que ce soit dans le monde ou en Tunisie et Ennahdha ne fait pas exception. Je parle d’Ennahdha, parce que j’apprends aujourd’hui qu’elle ne représente (ou ce qu’il en reste) plus rien en Tunisie. Je veux bien l’admettre, mais celui qui affirme que « Ghannouchi a fait beaucoup de mal au mouvement islamique Tunisien », a sûrement oublié de dire que c’est depuis le schisme provoquer par Slah Karker (que soit dit en passant, rabbi ichfih) qu’il est considéré de la sorte. Du moment de leur « combat » sur le sol Tunisien, ils ont largement profité de la générosité de ceux qui représentent aujourd’hui, nouvelle stratégie oblige, le malheur de l’islam. Quelle manière élégante de bouter en touche la question qui occupe le monde musulman depuis l’écriture par l’homme du dit corpus. Les exemples des régimes qui ont appliqué ou qui appliquent encore aujourd’hui la charia et en dépit de tout le mal qu’ils ont perpétré, sont selon cette « brillante analyse » une aberration et une perversion de l’esprit des textes. Raisonnement circulaire qui suppose démontrer la thèse que précisément, l’expérience vient de réfuter. C’est comme si l’horreur des conséquences prouve l’excellence du principe ! Plus encore que la conciliation de l’islam avec la démocratie, c’est la conciliation de l’interprétation de l’islam avec la liberté, et donc du corpus juridique, avec celle-ci. L’islam du fait de son essence divine étant parfait dans l’absolu, ce qui est perfectible, c’est la relation du musulman avec l’islam.

Je vous avouerai que devant cette vague de reconversions aux valeurs démocratiques qui semble toucher toutes les formations politiques tunisiennes même les plus idéologiquement éloigner de ce concept, je me pose la question de la pertinence de concevoir une alliance sur une valeur aussi abstraite. La démocratie est-elle un rempart suffisamment solide contre le fanatisme et les idiologies totalisantes ? Les expériences passées et actuelles, et cela même au sein des démocraties occidentales, ont montré que la démocratie ne peut être à elle seule un rempart contre le totalitarisme. Cette démocratie du plus grand nombre, dont les « forces démocratiques tunisiennes » se référent et qui semble faire l’unanimité aux prés de leurs leaders, ne nous préserve en rien de la répétition à l’infini de se que nous vivons aujourd’hui, à savoir une « démocratie des tyrans [iii]». Je comprends aisément que les mouvances islamistes tunisiennes se reconvertissent à la foi démocratique, et qu’un parti comme Ennahdha renoncent même à son caractère islamique. Quel moyen plus simple et indétectable, que celui du suffrage du plus grand nombre pour arriver à ce qu’on voulait accomplir par la violence ou la révolution ? Dans ces conditions il est clair qu’il faut rester prudent et avancer en connaissant les intentions des uns et des autres. Il ne s’agit point de se contenter de professions de foi démocratiques et des discours de circonstances. Il ne suffit pas de dire : je suis jésus, pour pouvoir marcher sur l’eau. Renoncer à la charia comme le préconise M.Talbi, est une première condition, mais elle est à mon sens, insuffisante pour se prémunir des intentions totalisantes de l’islamisme. C’est la reconnaissance claire et formelle du caractère circonstanciel d’une partie des textes. Ceci ne remet pas en cause l’intemporalité du coran, mais nous permet de faire une lecture actuelle tout en gardant l’esprit avant-gardiste et réformateur de ces origines. Le Coran n’a pas seulement vocation d’être un texte en avance sur son époque, mais également en avance sur toutes les époques, dont la notre.

Evoquer Tarek Ramadan pour admirer son progressisme et son savoir incommensurable est une chose que je veux bien admettre, chacun à le droit de choisir ses idoles, mais tous ceux qui ont déjà assisté à une conférence de Tarek Ramadan vous dirons l’écart flagrant entre son discours pour le « publique universel » et celui d’un publique ciblé et conquis. Exemple parfait de « dissimulation » ? Je ne serais le dire. Mais ce qui est certain c’est qu’à la question : faut-il, oui ou non, condamner la lapidation : Ramadan dit « je dois être pédagogue dans un monde musulman ou mon opinion est minoritaire [iv]» sans pour autant condamner cette pratique barbare. Devant une question, ou la réponse pour un progressiste, devait être évidente, et alors qu’il est écouté par des milliers et milliers de musulmanes et de musulmans en France et dans le monde, Tarek Ramadan semblait mal à l’aise et a préféré ménager la cessibilité des males musulmans. Je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant dans la réponse de Ramadan, est-ce le fait qu’il faille être pédagogue, pour expliquer que tuer une femme à coup de pierres, plus d’être une pratique odieuse pour tout musulman, est injuste puisque seule la femme est généralement punie, ou le fait qu’un tel progressisme, aussi mou soit t-il, ne représente qu’une minorité dans le monde musulman. Les deux suppositions me font personnellement froid au dos. Le cheikh Rashar Hasseen Khalil, égyptien et ex-recteur de la faculté de El Azhar, n’a pas eu la même gêne que Ramadan pour fulminer une Fatwa invalidant le mariage pour les couples qui procréent dans la nudité ; Ou comment procréer sans copuler ! Question fondamentale qui montre le chemin qui reste à parcourir avant que certains hommes arrêtent de se prendre pour Dieu. Alors quoi de plus naturel que de pousser aussi bien Tarek Ramadan que tous ceux qui parlent au non de l’islam, dans leurs retranchements. Il y des questions dont il vaut mieux connaître très vite les réponses !

Il y a des chemins, par la convoitise de ceux qui veulent les gravir, sont semés d’embûches ; Le chemin vers la liberté est de ceux la. Ceux qui espèrent le gravir, doivent porter leurs idées au bout de leurs bras, bien visibles au commun des mortels. Ceux qui prétendent au suffrage universel, doivent avoir leurs intentions bien en vues et non dans l’arrière de leurs pensées. Les mouvances islamistes au même titre que le reste des partis et organes de l’opposition tunisienne, doivent être acculés à s’engager devant le peuple tunisien sur des questions cruciales concernant les libertés de tous : La liberté religieuse, la liberté intellectuelle et la liberté d’entreprendre. Ils doivent être acculés à s’engager devant le peuple tunisien pour une démocratie « véritable », loin du mythe de « l’homme providence » et du culte de la personnalité. Pour l’instant rien, ni dans leurs idées ni dans leurs comportements, ne nous laisse croire que les leaders de l’opposition tunisienne ont choisi d’emprunter le bon chemin. Ils se veulent démocrates mais ne pratiquent que la langue de bois et le double discours, il faut dire qu’ils étaient à bonne école : celle de la dictature. Ils crient à l’abus de pouvoir alors qu’ils sont autant de dictateurs en herbes, qui, au sein de leurs partis, monopolisent le pouvoir depuis des lustres, mènent leurs barques loin de l’avis de leurs bases et imposent leur dictature à des jeunes embrigadés innocents, ou volontaires. Gardons nous de croire trop vite aux professions de foi de nos « démocrates ». Méfions nous des discours creux et faussement nouveaux qui inondent, de nos jours, la scène politique tunisienne. Pour citer le fameux duo, Mounji El Ouni et Noureddine Ben Ayed, méfions nous des « msamer lim sâddaa » là ou ils se trouvent. Les chants des nouvelles sirènes démocratiques tunisiennes n’arriveront pas à séduire ne serait ce que le plus naïf des tunisiens.



[i] « La charia ou l'islam, il faut choisir », Mohamed Talbi, propos recueillit par Dominique Mataillet, JA/L’Intelligent N° 2346-2347 du 25 décembre 2005 au 7 janvier 2006, pages 100-107.
[ii] « Ce dont nous avons besoin, c’est une sécularisation », Mourad Dridi, Tunisnews 05 janvier 2006
[iii] « De la dictature démocratique à la démocratie des tyrans », Mourad Dridi, Réveil Tunisien 26 février 2004
[iv] 100 Minutes, France 2, 20 novembre 2003

2 commentaires:

  1. Je partage entièrement les idées analysées dans ce post: une vision où la liberté de la pensée et de la croyance doit primer s'impose.
    Marier l'état avec la religion ne fait que régresser de plus en plus ces peuples qui n'ont pas su s'adapter aux exigences de l'esprit humain.
    Toutefois j'ai senti que pour comprendre la portée de tes paroles, il faut être déjà armé avec le même bon sens et la même capacité d'analyse. Je m'explique: il est difficile à quelqu'un qui n'a pas le sens de la critique de comprendre la portée de tes paroles. Or, je ne pense pas que ce soit là ton objectif, sinon comment est-ce qu'on pourrait dialoguer avec ceux qui ne peuvent entrevoir qu'une seule vérité: celle de l'opinion unique, du parti unique et du chef unique qui a toutes les solutions indiscutables à tous les problèmes qui surgissent?

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  2. Ce texte était une réponse à plusieurs textes qui avaient violement critiqué une interview du Pr Mohamed Talbi dans le quel il condamnait le prosélytisme et sommait les représentants de l’islam politique de clarifier leurs positions concernant l’archaïsme du dogme tel qu’il est prêché de nos jours. J’ai donc essayé de défaire les arguments avancés par ce que je pense être le bon sens. Ce texte s’adressait à des personnes qui pouvaient très bien saisir la portée de mes paroles. La question, pour eux n’est donc pas de comprendre mais d’admettre que cela est possible et même nécessaire pour notre société. Il faut donc continuer à dire en quoi on croit même si cela semble inutile ou loin de la pensée dominante.

    @+

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